Publication de l’ADEB

Sous la direction de Mariella Causa et Sofia Stratilaki-Klein

C’est avec un retard certain – mais toujours avec un véritable plaisir – que l’ADEB annonce la parution, qui a eu lieu en 2019, de sa publication Distance(s) et didactique des langues – L’exemple de l’enseignement bilingue. Ce sont les actes de la journée d’étude que l’ADEB avait organisée le 6 novembre 2015 au siège de l’ancien CIEP de Sèvres avec le soutien de l’Institut français et de l’alors CIEP  sur la thématique : La question de la distance dans l’enseignement bi-/plurilingue.

Nous laissons la parole à Mariella Causa et à Sofia Stratilaki-Klein qui ont dirigé cet ouvrage et à leur avant-propos pour une présentation de la publication et de ses contenus.

AVANT PROPOS

La perspective bi/plurilingue a profondément modifié le paysage de l’enseignement des/en langues. En 2000, Jean Duverger coordonnait un numéro spécial de la revuecouverture Le Français dans le Monde, Recherches et Applications intitulé Actualités dans l’enseignement bilingue. Dans ce numéro, les auteurs faisaient un état des lieux de l’Enseignement Bilingue (EB) au début du nouveau millénaire. Nous y identifions, à côté des contributions relatant des expériences de terrain, des questions fondamentales en didactique des langues, telles que l’emploi de l’alternance codique dans ces classes bilingues, les frontières entre l’enseignement d’une discipline (dite) non linguistique (DdNL) en L2 et l’enseignement du FLE/FLS, des questionnements autour de l’articulation entre L1 et L2 ou encore sur le bilinguisme en tant que compétence élargie et non seulement en tant qu’objet d’apprentissage. Ces questions centrales, portant autant sur les formes que sur les fonctions de l’enseignement bilingue, mettaient en avant quelques-uns des points saillants qui ont permis de faire évoluer les politiques linguistiques et éducatives mais aussi les pratiques et les représentations liées à ce type d’enseignement. Les différentes contributions posaient, en filigrane, les jalons d’une approche plurilingue et intégrée dans l’enseignement/apprentissage des/en langues.

Depuis, plusieurs éléments ont contribué à l’évolution de la notion d’enseignement bilingue parmi lesquels nous retenons les suivants :

  1. Le nouveau regard que l’on porte sur les langues dans une perspective moins cloisonnée de leur enseignement/apprentissage, en prenant appui sur l’ensemble des ressources dont dispose chaque individu et sur les stratégies de passage d’une langue à l’autre, voire d’une compétence à l’autre.
  2. La perspective plurilingue qui mène à remplacer bi- par pluri-, d’où le choix de parler d’enseignement bi/plurilingue (EBP)[1] étant donné que, à côté des deux langues comme moyens d’apprentissages, une troisième, voire une quatrième langue sont présentes comme matières.
  3. La mise en exergue de la question des cultures éducatives et didactiques dans des disciplines scolaires et surtout le fait que ces disciplines sont, elles aussi, « hautement » linguistiques, d’où l’utilisation du sigle DdNL (disciplines dites non linguistiques, sigle que nous utiliserons dans ce volume).
  4. La demande croissante d’une formation appropriée pour les enseignants de DdNL et les enseignants de L2 qui prenne en compte un éventail plus large de langues, plus ou moins éloignées du français.

L’idée de cet ouvrage naît d’une journée d’étude organisée par l’Association pour le Développement de l’Enseignement Bi/plurilingue (ADEB) au Centre International d’Études Pédagogiques (CIEP) de Sèvres en novembre 2015 sur la thématique de la distance dans l’enseignement bi/plurilingue. Cette journée avait réuni des enseignants et chercheurs travaillant dans des contextes divers dans lesquels le français, L2, côtoie d’autres langues « assez » éloignées du point de vue typologique, notamment l’arabe, le turque et le basque. Notre propos a été cependant de concevoir la notion de « distance » non seulement en termes typologiques ou géographiques (le Maghreb ou la Turquie) mais aussi en termes de statut linguistique, symbolique, culturel, social, etc., comme la distance qui existe, par exemple, entre le français et les langues régionales (dans ce cas précis, le basque et l’occitan).

Le choix de cette thématique n’est pas anodin. Il tient, tout au moins initialement, à une question posée de manière récurrente par des enseignants travaillant dans des dispositifs bi/plurilingues, particulièrement dans des pays où les deux langues vectrices d’enseignement sont (très) éloignées et ne permettent pas d’avoir aisément recours à des comparaisons interlinguistiques (Vietnam, Japon, Turquie, Hongrie, Indes, etc.). L’on peut remarquer, en effet, que la résistance vis-à-vis d’un enseignement des langues intégré se creuse davantage lorsque les langues sont distantes typologiquement et graphiquement, en raison de la difficulté à trouver un quelconque lien entre les deux langues en question. Cette première forme de distance cache, très souvent, la non-légitimité de cette perspective comparative dans l’enseignement/apprentissage des langues. Ainsi, dans des contextes où la langue est (très) éloignée, la difficulté est double car à la non-légitimité de la pratique s’ajoute la non-faisabilité ; la comparaison interlinguale devenant ardue, voire irréalisable. Cela étant posé, cette résistance n’est pas très différente de celle que l’on retrouve dans des contextes dans lesquels la distance interlinguistique est moindre. En effet, dans les contextes éducatifs dans lesquels la langue de l’école est proche de la L2, la comparaison est, certes, plus aisée mais pas toujours jugée légitime, d’où une résistance essentiellement au niveau des habitudes « monolingues » d’enseignement et, par conséquent, d’apprentissage. Ce constat constitue un premier paradoxe sur la distance : lorsque les langues sont proches, l’on a peur des interférences (considérées encore comme l’un des facteurs nuisibles à l’apprentissage) ; lorsque les langues sont éloignées, l’on a peur du manque de repères linguistiques et descriptifs communs. Finalement, il s’agit avant tout d’une difficulté se situant en amont même de la classe : faire évoluer les représentations enseignantes et apprenantes sur les langues.

La réalité est de toute manière fort complexe et l’emploi décloisonné des langues s’avère plutôt difficile à mettre en place dans certains contextes plus que dans d’autres et cela pour des raisons multiples. Nous en avons retenu ici deux qui constituent, à notre sens, autant de pistes de réflexion. Tout d’abord, le constat que, dans la majorité des cas, enseignement bi/plurilingue ne signifie pas mettre en place des stratégies communicatives et cognitives bilingues, l’enseignement restant cloisonné entre les langues et, de surcroît, entre les langues et les DdNL. Daniel Coste pointait cette préoccupation déjà en 2006 en écrivant :

« Un des paradoxes actuels est bien que nombre de classes bilingues soient aujourd’hui des classes de facto monolingues, à la fois protégées et menacées, encore trop souvent cloisonnées. L’enjeu majeur pour l’avenir ne revient-il pas à bien déterminer si l’enseignement bilingue « roule » pour la défense ou la promotion de telle ou telle langue particulière ou s’il s’inscrit dans une construction patiente de visées et de modalités nouvelles d’éducation aux langues, en langues et – pour partie – par les langues ? »[2]

Ensuite, la réticence affichée vis-à-vis d’un enseignement des langues plus articulé favorisant le recours des deux langues présentes dans la classe en tant que vecteurs d’enseignement de manière intégrée. Ce cloisonnement, que Michel Candelier (2005 : 426)[3] qualifie de « doxa pédagogique » et que l’auteur fait remonter à la méthode directe « qui bannissait la traduction » et au behaviourisme « qui ne voyait dans les transferts de langue à langue que des interférences perturbatrices », explique pourquoi, par exemple, des pratiques pédagogiques qui ont montré leur pertinence depuis une vingtaine d’année, notamment l’intercompréhension entre familles de langues, et qui pourraient fournir une base fiable de discussion, n’arrivent pas à trouver pleinement leur place dans les formations en langues. Si ce changement de regard s’avère problématique entre langues proches, comment pourrait-on l’envisager alors entre langues plus éloignées via, par exemple, la didactisation d’une langue passerelle telle que l’anglais ?

Pour l’heure, les théories et les pratiques relevant de l’enseignement bi/plurilingue abordent assez inégalement la question de la distance (et conséquemment de la proximité). Il en ressort cependant que cette dernière ne se laisse pas appréhender qu’en termes de degré(s) mais définit plutôt des zones de rupture offrant une possible résistance à la continuité des approches méthodologiques existants. Il faudrait peut-être envisager cette réflexion autour d’un continuum dans lequel les différents types de distance – tout comme les différents types de proximité – constitueraient autant de paramètres significatifs à prendre en compte pour construire une pédagogie visant le décloisonnement linguistique.

Dans ce mouvement de ruptures et de continuités entre les langues, les cultures éducatives et didactiques jouent évidemment un rôle central. Actuellement, quelles que soient les avancées théoriques et méthodologiques impulsées par les travaux sur l’enseignement bilingue, les langues à l’école sont souvent encore traitées de manière isolée et entrent en concurrence entre elles, comme Jean-Claude Beacco et Michael Byram le soulignaient déjà en 2007[4]. De même, dans certains pays, les politiques scolaires interdisent encore formellement le rapprochement entre les langues, mais aussi entre les (autres) enseignements disciplinaires, en empêchant en retour toute tentative de transversalité. Dans ces contextes, nous nous trouvons face à un autre paradoxe : les enseignants, tout en étant convaincus des bienfaits d’une approche plus intégrée entre les langues et en admettant l’utiliser de manière spontanée dans leurs classes, ne peuvent tout simplement pas s’en servir « officiellement », les tentatives de décloisonnement étant possibles uniquement dans les écoles privées dans lesquelles le « contrôle » de l’inspection est moins pressant (à condition toutefois que les écoles ne soient pas sous tutelle de l’état). De fait, rappelons-le, cette interdiction encore bien présente « …[…] va à l’encontre du développement d’une diversité linguistique plurielle et du plurilinguisme approprié à des situations différentes. » (idem : 16). Si l’on s’accorde sur le fait que l’enseignement bi/plurilingue est le résultat de la prise en compte de plusieurs éléments souvent d’ordre différent, le débat reste ouvert quant aux modalités concernant l’application des approches plurielles dans la réalité de la classe.

Les questions liées à la distance (et/ou à la proximité) seront posées dans ce volume à partir des trois entrées suivantes :

  • ­   la distance interlinguistique,
  • ­   la distance interlinguistique et symbolique,
  • ­   la distance interlinguistique VS une certaine proximité territoriale et socio-éducative.

Ces trois entrées nous rappellent ce que Louise Dabène définit une « distance historique » et qui concerne le « type de relation établi entre les deux univers concernés » (1990: 12)[5]. La distance historique, notamment dans le cas des langues régionales, a des implications « non seulement quantitatives (plus ou moins d’élèves) mais de répercussions profondes sur les attitudes et les motivations et qui affectent par conséquent toute l’organisation des productions langagières » (ibidem). Mais cette « distance historique » dans les dispositifs bi/plurilingues, apparaît clairement dans la présentation des contenus disciplinaires, qu’ils appartiennent aux sciences dures ou aux sciences humaines : comment, par exemple, les mêmes événements historiques ont-ils été vécus selon le pays et comment sont-ils donc relatés dans les manuels ? En ce sens, la prise en compte de la tension entre les deux paradigmes – distance VS proximité – sera considérée comme nécessaire à un projet d’apprentissage raisonné et à une réflexion curriculaire plus avisée, amenant à une alternative méthodologique au sein de la didactique du plurilinguisme, dont l’enseignement bi/plurilingue est l’une des manifestations, consubstantiellement variationniste[6].

Le présent ouvrage est constitué de deux parties complémentaires. Le première partie, intitulée Réflexions autour de la notion de « distance » : positionnements épistémologiques et didactiques, interroge de manière générale la notion de distance dans l’enseignement/apprentissage des/en langues mais également dans le domaine de la formation des enseignants. Cette partie s’ouvre avec la contribution de Daniel Coste (chapitre 1) dont le titre « accrocheur », Prendre ses distances, va tout de suite interpeller le lecteur. Sont ici décrits les différents déclinaisons et sens à donner à la notion de distance dans le domaine de l’enseignement/apprentissage des langues. L’auteur met en évidence les significations et les valeurs multiples que peut prendre une même notion ainsi que les différents critères qui interviennent dans les représentations des langues. Ces représentations – partagées, prototypiques, individuelles ou subjectives – peuvent se combiner entre elles pour former des constellations complexes aux frontières diversement perméables, mouvantes et fluctuantes, des configurations divergentes et variées, autrement dit des traits constitutifs de la notion de distance et, en retour, de celle de proximité.

L’article de Sylvie Wharton (chapitre 2) interroge le lien entre proximité/distance linguistique et acquisition dans le contexte réunionnais dans lequel le français est une langue présente dans l’environnement quotidien, mais pas assez maîtrisée par les habitants. Plutôt que de traiter ces langues de manière isolée, l’auteure insiste sur le fait que l’élément qui caractérise les pratiques langagières de la région est avant tout une sorte d’interlecte constitué de mélanges de créole et de français. À partir de deux recherches menées auprès d’enfants créolophones apprenant le français à l’école primaire et au lycée, Sylvie Wharton montre comment le critère de distance/proximité est géré par le biais de comportements langagiers qui se conforment tout naturellement aux normes sociolinguistiques environnantes.

Sofia Stratilaki présente, quant à elle, le cas du Luxembourg pays dans lequel trois langues, appartenant à des familles linguistiques différentes (français, l’allemand et le luxembourgeois) se côtoient et sont utilisées et apprises à l’école (chapitre 3). Cette situation de contacts des langues est une illustration de ce qu’on peut qualifier de « plurilinguisme fonctionnel » (Hutterli, 2012). L’auteure cherche à préciser la notion de distance en vue d’étudier les circulations, les continuités et les articulations entre représentations des langues et comportements langagiers chez des élèves scolarisés dans un contexte éducatif ouvert au plurilinguisme, en ce sens qu’il valorise ce que Sofia Stratilaki nomme « l’atout bilingue ». L’atout bilingue postule une forme de continuité entre ces trois langues et considère le capital linguistique et culturel des élèves « déjà-là », ou en voie de constitution, comme une richesse pour la construction d’une compétence plurilingue assumée ; il devient, autrement dit, le tremplin pour l’apprentissage des langues de scolarisation.

L’article de Monica Vlad interroge les pratiques de formation initiale (chapitre 4). Plus particulièrement, cette contribution s’intéresse au regard que les étudiants-futurs enseignants de français langue étrangère portent sur leur propre répertoire linguistique. L’auteure propose une analyse d’un corpus formé de biographies langagières produites par les étudiants à partir de la notion d’imaginaires langagiers, l’imaginaire étant envisagé à la fois comme un espace créatif et comme un processus discursif. L’analyse des discours produits par les étudiants lui permet de dégager les distances et les rapprochements symboliques qu’ils entretiennent avec les langues, ce travail menant à une prise de conscience de leur « être plurilingue », condition nécessaire, selon l’auteure, pour un enseignement/apprentissage plus ouvert à la pluralité linguistique et culturelle.

L’une des pratiques de transmission des savoirs en deux langues, ici l’alternance séquentielle, est le sujet de la contribution de Mariella Causa (chapitre 5). En partant de l’élaboration d’unités didactiques bilingues sur le modèle valdôtain, Mariella Causa montre que la confrontation des étudiants-futurs enseignants de français, langue étrangère et langue seconde, à des pratiques qui ne leur sont pas (encore) familières favorise une modification graduelle de la relation qu’ils entretiennent avec les langues (celle d’abord qu’ils seront amenés à enseigner, le français, puis celles avec lesquelles ils sont en contact à l’école). Cette évolution favorise progressivement l’élaboration d’activités pédagogiques prenant en compte l’articulation entre la/les langue(s) et les DdNL, selon les principes d’une pédagogie de projet à la fois bilingue et interdisciplinaire, comme c’est (ou devrait être) le cas dans les dispositifs bilingues. La distance socio-éducative est ici traitée sous plusieurs angles complémentaires : les habitudes d’enseignement/apprentissage, l’écart entre les savoirs acquis en formation et la demande du terrain, les représentations ordinaires sur l’enseignement/apprentissage des langues et, enfin, les questionnements autour des pratiques de classe non encore stabilisées, mais propices à la mise en place d’une didactique du plurilinguisme.

La seconde partie de ce volume, intitulée La distance dans sa mise en œuvre : les voix des acteurs engagés sur le terrain, met l’accent sur les pratiques de terrain observées et/ou vécues dans trois contextes où le français est l’une des deux langues des apprentissages disciplinaires : le Maroc, la Turquie et la France, notamment en ce qui concerne les langues régionales (basque et occitan). À ce titre, cette partie propose une lecture de la notion de distance au travers des analyses des pratiques effectives pour expliciter et décrire, de manière cohérente, un certain nombre d’opinions, de croyances et de comportements langagiers à l’école. La question posée par les auteurs est principalement de savoir comment cerner et caractériser avec précision les différentes modes de construction des représentations du plurilinguisme et des langues présentes et transmises dans l’espace scolaire ou dans l’environnement familial.

Dans son article introductif (chapitre 6), Laurent Gajo invite le lecteur à réfléchir sur la notion de distance appréhendée tant du côté de l’apprentissage, en partant de la notion d’appropriation, que du côté de l’enseignement, en se basant sur le paradigme de la socio-didactique des langues et du plurilinguisme dans le but de créer des « conditions d’une possible didactique de la distance ». L’auteur définit des observables et introduit les catégories de distance sociale, acquisitionnelle, linguistique et plurilingue pour comprendre et interpréter cette notion dans les pratiques et les représentations des acteurs concernés. L’idée centrale est la gestion de cette distance : du point de vue cognitif pour l’apprenant, du point de vue formatif pour l’enseignant, la distance – et sa perception selon les moments et les activités – pouvant être un véritable levier dans la construction des apprentissages scolaires.

Suit l’article de Claude Cortier et Youssef Nait Belaid (chapitre 7) qui décrit la situation linguistique du Maroc, notamment le statut du français qui, après des années de forte arabisation, est réintégré comme langue des apprentissages dans les sections internationales. L’accent est mis d’une part, sur la volonté de développer une politique linguistique ouverte à la pluralité et, par voie de conséquence, à la constitution d’un répertoire linguistique de l’étudiant marocain comprenant les langues nationales (arabe, amazigh) et des langues étrangères (principalement le français et l’anglais) ; d’autre part, sur la fracture qui existe entre la langue des apprentissages scolaires, l’arabe, et la langue des apprentissages universitaires, le français. Pour éviter cette « fracture linguistique »[7], qui devient aussi une fracture sociale car, contrairement aux écoles publiques, dans les écoles privées le français est utilisé à des fins pédagogiques, les sections internationales, option français, ont été créées en 2013. Face à une distance avant tout symbolique qui tient principalement au statut ambigu du français et aux représentations sur le bilinguisme qui renvoient encore à un passé colonial, les auteurs préconisent trois actions conjointes qui demandent une étroite collaboration entre les établissements et le institutions, à savoir : la création de partenariats entre l’Institut Français et les établissements scolaires ; la planification d’actions culturelles régulières en tant que vecteurs de diffusion/partage du français ; la mise en place d’une formation ciblée pour l’ensemble des acteurs engagés dans le développement de ces sections (cadres, inspecteurs, chefs de département, enseignants).

Christine Vuillet et Alper Güloğlu nous présentent un projet de pédagogie intégrée langue + DdNL mis en place au lycée bilingue Tevfik Fikret d’Izmir en Turquie (chapitre 8). Il est ici à la fois question de gérer la distance linguistique entre les deux langues des apprentissages la L2 = français et la L1 = le turc) et de réduire la distance pédagogique entre l’enseignement de la langue et l’enseignement en langue. Dans leur contribution, les auteurs essaient de fournir une réponse aux questions suivantes : comment motiver les élèves à continuer à apprendre la L2, à savoir le français ? Et comment motiver les enseignants de L2 à travailler en binômes avec les enseignants de DdNL en valorisant leur action sans leur donner l’impression d’être « au service » de ceux derniers ? L’article décrit les phases principales et les premiers résultats d’une recherche-action initiée en 2015-2016 et grâce à laquelle une pédagogie de projet bilingue a été mise progressivement en place.

Les deux articles qui suivent (chapitres 9 et 10) rendent compte de l’enseignement bilingue français/langue régionale à l’école primaire, en particulier français/basque et français/occitan. Le constat de départ fait par les auteurs est le même : la transmission (et la revalorisation) de ces deux langues reste exclusivement à la charge de l’école, devenue désormais le seul lieu de communication et de circulation de ces deux langues étant donné que, pour les raisons historiques que l’on connaît, la transmission familiale ne se fait plus ou très rarement. Ce manque de communication et de circulation des langues engendre des distances symboliques fortes qui font obstacle au développement des filières bilingues. Michaël Alcibar traite de la distance à travers l’enseignement paritaire français/basque, cette dernière étant qualifiée ici de « langue minorée ». La question que l’auteur pose dans sa contribution concerne le sens que les acteurs principaux donnent à cet enseignement : l’Éducation Nationale, les parents et les enseignants. Selon lui, le manque de sens commun et de cohérence dans les discours produits par ces trois instances contribue à l’absence de complémentarité des actions respectives et, conjointement, à la persistance de certaines représentations entravant un développement plus serein de cette filière. Trois types de distances sont finement décrites par l’auteur afin d’alimenter une réflexion plus constructive à ce sujet : la distance sociétale, la distance diglossique et, enfin, la distance symbolique.

L’article de Stéphanie Vaissière fait écho à ces questionnements. Elle montre notamment la manière dont l’occitan oscille entre une proximité linguistique et une distance prioritairement sociale et symbolique. Ainsi, si la proximité entre le français et l’occitan peut mener, selon l’auteure, à des fossilisations qui rendent laborieuse chez les élèves l’entrée dans les DdNL, la distance sociale, quant à elle, agit sur la motivation concernant l’apprentissage de cette langue. Mais d’autres formes de distance se produisent dans ce contexte : celle due à la séparation des deux langues à l’école et conséquemment à la difficulté de mettre en place un travail comparatif ; celle qui vient d’une connaissance insuffisante de la langue régionale de la part de l’enseignant de français lorsque l’enseignement se fonde sur le modèle « un enseignant – une langue » ; celle, enfin, qui tient au manque d’intérêt – et de compréhension – d’un travail collaboratif entre les enseignants de langue(s). Ces différentes formes de distances pourraient, selon l’auteure, être comblées par une formation des enseignants davantage ciblée sur les compétences linguistiques dans les deux langues, la réduction de l’écart entre l’école et la société, ou encore une prise de conscience plus marquée des représentations circulantes sur l’occitan et son enseignement.

Le volume se clôt par une poste-face de Silvia Melo-Pfeiffer. L’auteure, en revenant sur les catégories et les entrées d’analyse proposées par les différents contributeurs, propose une ouverture vers d’autres horizons et questionnements permettant de « vivre à distance ». Dans un contexte de mondialisation où « les distances s’entremêlent » et où « la proximité est toujours à notre portée », cette perspective permet de définir la distance comme une vision fonctionnelle du monde permettant à l’individu ou à un groupe social de donner un sens à ses conduites et de comprendre la réalité à travers son histoire, ses références et ses valeurs. En proposant de « combiner les proximités et les distances », l’auteure prend comme exemple une situation d’enseignement (l’enseignement du FLE à l’école en Allemagne ou la plateforme GALANET) caractérisée par des multiples formes de manifestation et d’interprétation de la distance, et propose de la concevoir finalement comme un élément constructif et constitutif dans l’élaboration des connaissances relatives aux communications/interactions et aux contextes d’apprentissage et de formation.

 

Bordeaux – Paris, novembre 2018

Mariella Causa et Sofia Stratilaki-Klein

 

[1] C’est cette définition qui sera désormais utilisée dans cet ouvrage.

[2] Coste D., 2006. « De la classe bilingue à l’éducation bilingue ? », Le Français dans le Monde, n°345, Paris : CLE-International, pp. 18-19.

[3] Candelier, M. 2005. « L’éveil aux langues. Une approche plurielle des langues et des cultures au service de l’extension des compétences linguistiques » dans Prudent L. F., Tupin F, Wharton S. (dir), 2005. Du plurilinguisme à l’école. Berne : Peter Lang, pp. 417-436.

[4] Beacco J.-C., Byram, M. 2007, De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue : Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe, version intégrale, Strasbourg, Conseil de l’Europe. Cf. Gajo, ici même.

[5] Dabène L. (dir.), 1990. Variations et rituels en classe de langue, Crédif-Didier, coll. LAL. Pour ces questions nous renvoyons également à l’ouvrage de la même auteure : Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues, 1994, Paris : Hachette, coll. F.

[6]Dabène L., 1990, op. cit.

[7] Messaoudi, L., 2013. « La fracture linguistique dans l’enseignement scientifique au Maroc, pour un bilinguisme intégré », in Messaoudi, L, Benramdane, F., Les technolectes au Maghreb. Eléments de contextualisation, Publications du laboratoire Langages et sociétés, Université de Kenitra.

 

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