Alerté sur la politique linguistique scolaire au sujet des Langues de France par de nombreuses voies (FELCO - http://www.felco-creo.org/, fédération des enseignants de langue et culture occitane, qui fédère les professeurs des 1er et 2nd degrés des 32 départements concernés ; mais aussi syndicats – SE-UNSA ; SGEN-CFDT notamment), le bureau de l’ADEB a envoyé au Ministre de l’Education Nationale le courrier suivant.

courrier envoyé à M. Blanquer

Il semblerait que deux idéologies se soient rejointes : celle, connue et fondatrice d’une pensée encore forte en France, de la toute puissance d’une seule langue (LA langue de l’Etat, LA langue universelle étrangère ; l’anglais – en attendant le choc final et déjà en place entre ces deux langues, sur le territoire notamment des grandes entreprises, parfois des universités) ; celle, bien « libérale », du management qui désormais s’attache à planifier à flux tendu l’ensemble des services « publics » (et ici, l’enseignement).

Un précédent « blog » (Du glyphosate dans le champ scolaire) traitait de la politique linguistique nationale à l’aune d’un rapport d’IGEN.

Ici, le ministère retire les dotations spécifiques qu’il y a peu encore (18 décembre 2018), la rectrice de l’académie de Toulouse fléchait sur la « sanctuarisation » de la langue régionale, l’occitan, dans la vaste région d’Occitanie. Ces dotations spécifiques viennent du MEN ; elles sont fléchées par le Rectorat en direction des axes prioritaires de leur politique. Ainsi, depuis plus de 30 ans dans l’Académie de Toulouse, ces dotations ont permis à l’enseignement de l’occitan de passer de la répression à la valorisation, avec une Académie qu’il y a peu encore on estimait « modèle » dans son développement vertueux (cf. note).  

Or, avec ce retour sans complexe de l’idéologie de la verticalité des langues (LdF = patois) et du management libéral (« le renard libre dans le poulailler libre »), les recteurs et rectrices diffusent sur le terrain la politique parisienne ; les principaux et proviseurs de l’académie raclent les fonds de tiroir pour assurer la meilleure promotion de leur établissement. leur(s) propre(s) idéologie(s) les mènent à saigner la filière LVR, largement affaiblie par les nouveaux programmes de lycée et le nouveau bac : le ministère montre la voie!

Cependant, et avec une vigueur assez peu commune sur le territoire occitan, syndicats, institutions partenaires, associations, professeurs, parents et … élèves s’opposent à ce qui serait une liquidation de l’occitan au collège et au lycée. Donc : à l’université. Et donc dans le recrutement des futurs professeurs des écoles ou certifiés. Et donc à la mise à mort à moyen terme du bilinguisme. La manifestation toulousaine du 17 février dernier a rassemblé, 10 jours après son appel, près de 5000 personnes. Le slogan était « Pas d’Occitanie sans occitan ». On peut l’élargir à la réalité nationale : « Pas de France sans Langues de France ». « Pas de monde sans langues du monde ».

Dans notre ouvrage de 2013, Daniel Coste rappelait que la politique scolaire au sujet des Langues de France fonctionnait toujours comme un révélateur « au sens de liqueur de Fehling » de la politique linguistique scolaire générale. Il semblerait, hélas, que cela se vérifiât aujourd’hui encore.

L’ADEB restera, auprès d’autres associations et institutions, très vigilante sur ce point précis. Les Langues de France, hors de France, n’existent parfois pas. Les assécher ici, c’est les liquider sur la surface du monde. Un ami écologue revenant d’une visite dans les forêts primaires à la frontière polonaise et ukrainienne, a eu la surprise d’entendre son guide polonais lui dire (en français!) : « Vous venez de Toulouse? Vous êtes Occitan? » Mais comment connaissez-vous l’occitan, s’interroge mon ami ? « Les Troubadours, la langue occitane, c’est un peu comme nous nos forêts primaires. » Je rajouterai que cette « langue primaire » est également la langue choisie par des milliers d’élèves, dès la maternelle.

Note : C’est à dire : classes bilingues encadrées par une convention Etat/Région avec objectifs chiffrés (à l’heure actuelle, 3% de la population scolaire académique de maternelle à cycle 3 ; collèges où options et LV2 et 3 sont possibles ;  lycées où l’on peut continuer ces « sections régionales » (équivalent des « sections européennes », mais avec LVR), LV2, LV3, options bonifiantes ; université en licence ; ESPE en master et CRPE spécial permettant de porter, bon an mal an, de 10 à 15 nouveaux Professeurs des Ecoles au vivier de l’enseignement bilingue – depuis 2002 en revanche, le CAPES a été fermé de 20 à 4 postes, soit 0,125 par département concerné, sachant que le certifié d’occitan est « bivalent » et qu’il travaille pour moitié de son temps en français (entre 800 et 1400 postes sur la même période), en anglais, espagnol, ou histoire-géographie.

Pierre Escudé, président de l’ADEB