Silvia MinardiInterview à Silvia Minardi

Marisa Cavalli – Silvia Minardi avez-vous envie de vous présenter au public français ?

Silvia Minardi – Je suis professeur d’anglais dans un lycée de Magenta (Milan) et à l’Université Insubria de Varese où j’enseigne l’anglais à la faculté de Biologie.

Marisa Cavalli – Vous êtes également la Présidente de l’association Lingua e Nuova Didattica (LEND) : quelles en sont les finalités et les principales activités ?

Silvia Minardi – LEND est un acronyme qui signifie « Lingua e nuova didattica ». C’est un mouvement qui est né au début des années 70 à Rome et qui réunit encore aujourd’hui des enseignants de langue italienne (L1) et d’autres langues vivantes. A partir des reformes des années 2010, LEND a vu augmenter la présence des enseignants de l’école primaire et des professeurs EMILE. Toutes les activités de LEND cherchent à promouvoir la réflexion, la recherche et la formation des enseignants sur la didactique du plurilinguisme en mettant au centre la langue première de l’apprenant. LEND est organisé en groupes dans plusieurs villes italiennes ; un groupe est même né à Istanbul (Turquie) : il regroupe des enseignants de langue italienne comme langue vivante.

Marisa Cavalli - En 2020 votre avez publié chez Pacini Editore votre thèse de doctorat soutenue auprès de l’Università per Stranieri de Siena: LINGUA, APPRENDIMENTO E DISCIPLINE. LA FISICA IN LINGUA DI SCOLARIZZAZIONE E IN CLIL/AIDEL. Qu’est-ce qui vous a inspiré le thème de cette thèse ?

Silvia Minardi – J’avais participé aux phases finales de la réflexion sur le texte du Conseil de l’Europe « Les dimensions linguistiques de toutes les matières scolaires ». Je travaillais, en même temps, à la formation des enseignants EMILE en Italie. C’était la période de la formation obligatoire des enseignants Disciplines dites Non Linguistiques (DdNL) qui voulaient être admis dans le dispositif EMILE, devenu obligatoire dans les classes terminales en Italie. Dans mon lycée, je collaborais avec des collègues DdNL qui commençaient à introduire des modules EMILE dans leurs classes. Et je me demandais si et comment ils prenaient en charge les dimensions linguistiques de leurs disciplines. J’étais curieuse et je me demandais quel était le rôle de la langue dans leurs cours.

Marisa CavalliQue vouliez-vous exactement vérifier par ce projet de recherche ?

Silvia Minardi – Comme les professeurs EMILE en Italie devaient suivre un parcours universitaire obligatoire de formation à la méthodologie EMILE, je voulais vérifier la façon dont ils réalisaient la prise en charge des dimensions linguistiques dans les disciplines qu’ils enseignaient et je voulais l’examiner aussi bien dans leurs classes en L1 (italien) qu’en EMILE. J’étais convaincue que le fait de s’interroger sur le rôle que la langue joue dans l’apprentissage devait modifier leurs manières d’enseigner leur discipline même en italien, langue de scolarisation.

Marisa Cavalli – Pourriez-vous nous décrire la méthodologie que vous avez suivie pour réaliser cette recherche ?

Silvia Minardi – Ma recherche doctorale avait pour objectif de vérifier si et comment les dimensions linguistiques étaient prises en charge par quatre enseignants EMILE italiens dans leurs cours de Physique. Pour enseigner leur matière en EMILE, ces enseignants avaient dû suivre, selon les dispositions de loi, un parcours de formation qui, d’après mon hypothèse, aurait dû leur permettre de s’interroger et de réfléchir sur le rôle de la langue dans l’apprentissage d’une DdNL. Pour chaque enseignant, j’ai enregistré la partie initiale d’une unité d’apprentissage en italien (3 heures de cours) et en EMILE (3 heures de cours). J’ai en outre proposé à chaque enseignant un entretien semi-structuré, qui a été enregistré. Tout a été transcrit et analysé en utilisant des codes d’analyse différents pour chacune de mes questions de recherche. Les quatre enseignants travaillaient tous dans la filière « langues » de leurs établissements : deux d’entre eux utilisaient l’anglais en CLIL/EMILE, une collègue l’allemand et un autre le français. Tous les cours enregistrés ont eu lieu dans des classes terminales.

J’avais quatre questions de recherche:

a)   Quelles ressources linguistiques sont présentes dans une classe (L1 et EMILE) de DdNL?

b)   De quelle manière les ressources linguistiques présentes sont mobilisées pour favoriser l’apprentissage de la DdNL?

c)    De quelles manières ces ressources linguistiques sont utilisées dans le discours didactique et académique de la physique?

d)   Est-il possible d’envisager des manières et des espaces de collaboration entre les professeurs EMILE et les collègues de langue?

Marisa Cavalli - Venons-en maintenant à ce que vous avez découvert.

Silvia Minardi – L’espace de la classe de physique est très riche en codes sémiotiques et en représentations. Parmi ces codes, la langue avec ses registres – ordinaire, didactique et académique – est peu utilisée pour favoriser les apprentissages surtout quand il s’agit de la classe de physique en L1. Dans les interviews, un aspect qui revient souvent c’est le fait que pour les quatre enseignants de physique, quand on utilise la L1 dans l’enseignement, elle ne présente presque aucune barrière à l’apprentissage. En EMILE, les dimensions linguistiques sur lesquelles travaillent les enseignants sont les mots, le vocabulaire, comme si l’apprentissage d’une DdNL passait surtout par un vocabulaire académique spécifique. Et pourtant, dans les contrôles on demande aux élèves de réaliser des présentations écrites, d’écrire des rapports, de donner des définitions… L’on considère que cela va de soi, comme si, par exemple, donner une définition en physique était la même chose qu’en histoire : on sait très bien que dans les classes de L1 ou de langues vivantes on n’enseigne pas les genres de discours des disciplines. Cela semblerait ne pas rentrer dans les objectifs de ces disciplines. Par ailleurs, pendant les cours de physique on ne travaille pas sur les genres de discours de cette disciplines ni sur les fonctions discursives qui sont les plus utilisées dans ce champ disciplinaire. Les élèves finissent par étudier des listes de mots et mémorisent des parties de leurs manuels scolaires ou des notes qu’ils prennent.

J’ai pu approfondir, grâce aux données que j’ai recueillies : le rôle de la reformulation comme outil de médiation dans les classes de physique, la présence des fonctions cognitives dans les textes utilisés et dans le discours de la classe, les formes de communication présentes, le type de feedback utilisé et les stratégies d’étayage linguistique. J’ai, par exemple, remarqué que l’on travaille assez peu sur la langue écrite en termes de production en classe ; et pourtant les contrôles sont presque toujours en forme écrite. Dans les cours de physique en italien, la forme de communication la plus utilisée est l’exposé de l’enseignant qui semble disparaître dans les classes EMILE où l’enseignant montre très souvent des vidéos où la voix de l’expert finit par remplacer la voix de l’enseignant.

D’après mes analyses, en général, la prise en charge des dimensions linguistiques dans les classes que j’ai examinées se fait très rarement parce que les enseignants ne se rendent souvent pas compte du rôle que la langue et le développement des littératies académiques en particulier peuvent avoir dans l’apprentissage. D’ailleurs, la formation aux dimensions linguistiques n’existe presque pas dans les cours universitaires que les enseignants EMILE sont obligés de suivre en Italie. Elle demeure un discours de niche qui intéresse très peu de gens, bien que les experts (Coyle, 2019) insistent désormais sur une nouvelle étape à franchir dans le développement des dispositifs EMILE.

Marisa Cavalli – Il serait intéressant pour les lecteurs du blog de l’ADEB d’en savoir un peu plus sur les sources théoriques qui vous ont le plus inspirée.

Silvia Minardi – A’ part les travaux du Conseil de l’Europe sur les dimensions linguistiques dans toutes les matières et le projet sur les « plurilittéracies » du groupe de Graz, j’ai utilisé la « systemic functional linguistics » (Halliday, 2014; Halliday & Hasan, 1985) et j’ai été en contact pendant les années de ma recherche avec Mary Schleppegrell qui, aux Etats-Unis, travaille sur la langue de scolarisation (the language of schooling) avec des groupes de recherche concernant plusieurs disciplines et différents niveaux scolaires. J’ai beaucoup utilisé la « legitimation code theory » et les recherches en Europe de Dalton-Puffer en particulier sur les «  cognitive discourse functions » en CLIL.

Marisa Cavalli – Que voudriez-vous suggérer à un.e. enseignant.e qui aurait envie de s’engager dans un enseignement de type bilingue (que ce soit en langue régionale, en EMILE, en immersion ou autre) ?

Silvia Minardi – « Everything goes through language » affirme Claire Kramsch : il me semble fondamental que tout enseignant soit capable de comprendre le rôle que la langue peut jouer dans l’apprentissage en général et de la discipline qu’il enseigne en particulier. Les enseignants de discipline ont besoin de savoir comment la langue fonctionne pour construire et présenter les connaissances. Sur la base des données et des résultats de ma recherche, trois aspects me semblent importants : comprendre la variétés des registres qui sont nécessaires pour s’engager dans différentes tâches en classe, être capable d’identifier les caractéristiques linguistiques utilisées dans les discours disciplinaires des matières scolaires que l’on enseigne, et être capable de s’appuyer sur un métalangage significatif pour sensibiliser les apprenants à la façon dont la langue est utilisée dans les textes qu’ils lisent et écrivent.

De cette prise de conscience, on peut ensuite passer à la préparation de parcours d’enseignement où les différentes dimensions sont vraiment ancrées dans les procédures et les activités.

Entretien réalisé par Marisa Cavalli

Bibliographie suggérée par Silvia Minardi

 BEACCO J.C. (2019). Un « choc en retour » des enseignements en français (EMILE/CLIL) sur les enseignements de français langue étrangère (FLE) ? Revue TDFLE [en ligne] 74/2019. Consulté en ligne le 10 janvier 2021.

BEACCO J.-C., GOULLIER, F., FLEMING, M., VOLLMER, H.J., THÜRMANN, E. (2015). Les dimensions linguistiques de toutes les matières scolaires. Un Guide pour l’élaboration des curriculums et la formation des enseignants. Strasbourg, Conseil de l’Europe. Consulté en ligne le 10 janvier 2021

COYLE, D. (2019). Enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère, en Newby D., Heyworth F., Cavalli M. (éds.), Contextes changeants, compétences en évolution : inspirer l’innovation dans l’éducation aux langues depuis 25 ans, Graz: CELV. 78-88. Consulté en ligne le 10 janvier 2021.

COYLE D., HALBACH, A., & MEYER, O. (2018). Knowledge ecology for conceptual growth: Teachers as active agents in developing a pluriliteracies approach to teaching for learning (PTL). International Journal of Bilingual Education and Bilingualism, 21:3, 349-365, DOI: 10.1080/13670050.2017.1387516

MARTIN, J., MATON, K., DORAN, Y.J., (2019). Accessing Academic Discourse – Systemic Functional Linguistics and Legitimation Code Theory. Routledge.

MEYER, O., & COYLE, D. (2017). Pluriliteracies teaching for learning: Conceptualizing progression for deeper learning in literacies development. European Journal of Applied Linguistics, 5(2), 199–222, DOI: 10.1515/eujal-2017-0006

MINARDI, S., Le rôle des dimensions linguistiques dans l’enseignement d’une Discipline dite Non Linguistique, Cahiers de l’ADISFLE, 30/2019, 113-134.

MOORE, J., & SCHLEPPEGRELL, M. (2020). A focus on disciplinary language: Bringing critical perspectives to reading and writing in science. Theory into Practice, 59(1), 99-108. doi:10.1080/00405841.2019.1685337

SCHLEPPEGRELL, M. (2004). The Language of Schooling. A Functional Linguistics Perspective. Mahwah, N. J., London (Lawrence Erlbaum P.).