Deux Rapports ont été confiés à Thierry Mandon, qui n’est déjà plus secrétaire d’État à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche.

Le premier est une commande faite en octobre 2016 à l’Alliance ATHENA (alliance nationale des sciences humaines et sociales) afin de faire un point de réflexion stratégique sur la recherche sur l’éducation et la formation. Ce Rapport (en fait deux volumes qu’on trouvera à l’adresse : http://www.allianceathena.fr/actualite/remise-du-rapport-sur-la-recherche-en-ducation) rédigé par une communauté de chercheurs a été remis au Ministère le 18 avril 2017. Il apporte « une analyse des évolutions observables (…), des recommandations en direction des responsables des politiques de recherche et un ensemble de synthèses thématiques réalisées par près de quatre-vingts chercheurs pour donner à voir l’épaisseur et la diversité de l’activité scientifique. »

Nous y chercherons en vain toute allusion aux problématiques de la langue : on apprend en langue, on enseigne en langue, on transmet en langue : oui mais laquelle, lesquelles ? Font-elles obstacle à l’enseignement, à l’apprentissage, à l’activité scientifique en France ? Cela n’est pas évoqué car bien certainement cela est un point aveugle de la question sur le périmètre national, tant dans la « recherche sur l’éducation » que sur « la formation ». Certes, on trouve une belle métaphore, dès la page 4 qui pourrait ouvrir au débat de la « mixité constitutive et stimulante », à la « reconnaissance et à la valorisation de la diversité ». Mais hélas, il ne s’agit de langue que pour métaphoriser ce qui semble être la description de la définition monolithique de ce que seraient l’éducation, la recherche, uniquement au singulier – sans mixité, sans diversité donc. Nous citons : « La langue française tend à neutraliser la diversité par l’usage systématique du masculin, ce rapport fait le choix, pour des raisons de lisibilité, d’en rester à l’usage commun, même si il faut entendre dans cet usage la pleine reconnaissance d’une mixité constitutive et stimulante. » (Ce sous-chapitre se nomme « Un singulier pour des pluriels »…). Certes on aura également trouvé page 106 l’idée qu’il convient désormais « d’évaluer à parts égales la maîtrise de la langue, les connaissances disciplinaires et les capacités d’autonomie et d’initiative ». La dimension langagière est bien consubstantielle au contenu enseigné et/ou appris… mais se réduit encore à la seule forme du monolinguisme, et sous le format de « maîtrise » de la langue (unique), une conception prescriptive non pensée et datée – la notion de « maîtrise du langage parlé, de la lecture et de l’écriture » est référencée à la note 46 de la page 64, avec une citation de Holdaway, 1979. Depuis lors, rien de neuf ?

L’autre Rapport nous rappelle aux problématiques sidéralement absentes du premier rapport : unicité, diversité ; monolinguisme, plurilinguisme ; étanchéité, intégration. On y découvre que l’anglais prend des parts de marché de plus en plus fortes au français notamment en SHS, partout dans le monde et même en francophonie. Ce Rapport rédigé par Michel Wieworka avec Jacques Moret, adressé le 28 mars 2017 au même secrétaire d’Etat désormais disparu, fait le bilan des « Sciences Humaines et Sociales françaises à l’échelle de l’Europe et du monde ». Michel Wieworka était déjà en 2008 auteur d’un rapport sur « la diversité » :  (http://www.laffont.fr/site/rapport_sur_la_diversite_&100&9782221111628.html).

Dans le Rapport présent (https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/SHS/50/8/RapportSHS_EP1_07032016_743508.pdf) Les notions « d’hégémonie croissante » (p. 34), de « prééminence contemporaine » (p. 41) de l’anglais, « source d’inquiétude et de bien des difficultés » (p. 84), de « disparition du français » dans certains colloques internationaux vont en parallèle avec « les projets (…) source d’enfermement et de protectionnisme » de l’AUF qui souhaitait créer des indicateurs strictement francophones… A la domination d’une langue plus forte que la nôtre, la tentation de l’étanchéité et du repli ne sont pas de bonnes solutions.

Face au monolinguisme, l’idée ne serait-elle pas de développer des « pratiques bi/plurilingues » à l’instar de la revue trilingue (anglais, français, espagnol) Nuevo Mundo Mundos Nuevos de l’Université Paris 1 (p. 39) ? Car le Rapport est définitif sur une chose : « le monolinguisme (…) appauvrit la recherche ou la diffusion de ses résultats », c’est une « perte de créativité et d’originalité » (p. 50) ; « l’ethnocentrisme » dominant est fatalement amené à se renverser tôt ou tard en « provincialisme de la pensée ». Ces généreuses visions nous sont données à cause de l’état de domination de notre langue, car on parle de l’anglais ici. Mais quid du français à l’intérieur de ses frontières, dans les domaines de l’éducation, de la recherche, de la formation, de la dissémination ?

Les pages de conclusion (84-86) du Rapport Wieworka portent une solution que nous souhaitons partager dans l’esprit :« Nous plaiderons pour que les établissements d’enseignement supérieur et de recherche acceptent le bilinguisme dans leur activité. Non pas pour que l’anglais supplante le français, mais qu’il soit possible, et souhaitable, de s’exprimer dans les deux langues, de circuler de l’une à l’autre. En particulier, les études doctorales devraient être ouvertes au bilinguisme, avec l’anglais, et même éventuellement au trilinguisme, avec alors en plus l’espagnol. La France, de façon plus générale, devrait apparaître comme un pays assurant la promotion du plurilinguisme sur la scène internationale. »

Que le bi/plurilinguisme soit une des solutions pour lutter contre tout « provincialisme » (le mot apparait trois fois dans le Rapport) dans un monde largement intégré, certes ! Pratiquer, connaitre, comprendre des langues à des niveaux divers est l’un des horizons d’attente du CECR, depuis bientôt 20 ans désormais : viser à la corrélation, l’interaction des compétences en langues et non à une compétition mortifère entre langues, dans un cercle de domination / stigmatisation, et de monolithisme langagier. Que ne commence-t-on, dans le monde de l’éducation française, par la valorisation du bilinguisme (cf. la circulaire ministérielle 2017-072 à ce propos) ; dans la formation (en ESPE notamment, qui fabrique depuis 2013 les professeurs des écoles et de collège-lycée pour les 40 ans à venir) par une réflexion et une pratique ouvrant à une Éducation Langagière Globale, où la langue de scolarisation et l’ensemble des langues des répertoires possibles (de l’enfant – élève – étudiant, de l’environnement, de la scolarisation) sont travaillées en continuité (et non en contigüité), intégrées par ailleurs aux « matières scolaires » (extrait du titre de l’excellent Rapport de l’Unité des Politiques Linguistiques du Conseil de l’Europe, que les auteurs des deux Rapports analysés n’ont vraisemblablement pas connu : Les dimensions linguistiques de toutes les matières scolaires. Un Guide pour l’élaboration des curriculums et pour la formation des enseignants. Auteurs : Jean-Claude Beacco, Mike Fleming, Francis Goulier, Eike Thürmann, Helmut Vollmer. Et auquel, toujours et encore, nous renvoyons…).

L’ADEB a ici un très beau champ de travail et de dissémination de son expertise, auprès du nouveau Ministère de l’Éducation Nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

Pierre Escudé