On peut certes ne pas approuver toutes les orientations retenues et les décisions prises par le ministre de l’Education nationale et on attend avec intérêt la suite qui sera donnée au très décevant rapport sur « la maîtrise des langues vivantes étrangères » qui lui a été remis le 12 septembre par un journaliste et une inspectrice générale. Mais on ne peut que s’indigner de la scandaleuse déformation et exploitation à des fins politiques des quelques propos que le ministre a tenus, en réponse à une question de journaliste, sur l’enseignement de l’arabe au niveau primaire.

Le rappel d’évidence et de simple bon sens que l’arabe est une grande langue littéraire et de culture et que son enseignement, comme celui d’autres « grandes langues », vaudrait d’être étendu dans le système éducatif et notamment au niveau du primaire, n’a rien de neuf. Avant Jean-Michel Blanquer, des ministres de l’Education de dives bords politiques avaient tenu des propos analogues. Déclarations restées au demeurant lettre morte : il y a aujourd’hui tout au plus 550 enfants apprenant l’arabe dans les écoles, l’anglais concernant lui plus de 95% de la population scolaire du primaire, très loin devant l’allemand. Paradoxe et ironie de l’actualité : au moment où une polémique a éclaté autour d’une faussement prétendue obligation de l’arabe, le rapport remis au ministre recommande que l’anglais soit obligatoire dans les parcours de tous les élèves. Recommandation dont la mise en œuvre ne ferait qu’enregistrer au niveau normatif une quasi réalité de fait dont on sait les causes, mais la portée symbolique d’une telle mesure serait significative.

Le scandale, s’agissant de l’arabe, tient à ce que, cette fois, non seulement des habitués des réseaux sociaux mais des responsables (ah bon ?) politiques ont sciemment déformé la déclaration de Jean-Michel Blanquer en créant une « fausseté alternative » (« vérité alternative » n’est guère un bon équivalent de fake news) selon laquelle le ministre préconisait un enseignement obligatoire de l’arabe au primaire. Venant de tel dirigeant opportuniste proche de la droite extrême rallié au Front national entre deux tours de la présidentielle, on peut hélas tout attendre. Mais qu’un ancien ministre de l’éducation très présent dans les médias et dans les librairies feigne de se demander s’il faut « islamiser l’éducation » pour lutter contre « l’islamisation de la société » relève de la désinformation manipulatrice. Il arrive que des soi-disant pompiers se fassent pyromanes pour mieux asseoir leur prétention à la défense du territoire contre de supposés incendiaires. Les exemples n’en manquent pas. En la circonstance, nombre de médias et des linguistes d’orientations diverses, tels Henriette Walter, Claude Hagège, Louis-Jean Calvet, ont su faire de claires mises au point et propositions en réponse aux rumeurs et assertions sciemment trompeuses.

Au risque de passer pour infiltrée par de dangereux provocateurs, l’ADEB pourrait reprendre la fausse rumeur à son compte, mais en la spécifiant d’autre manière. S’il ne s’agit évidemment pas de rendre obligatoire l’enseignement de l’arabe à l’école, convient-il de défendre l’idée que l’arabe devrait trouver place dans les enseignements de l’école et dans le parcours de tous les élèves. Non comme langue à apprendre par tous mais comme langue objet de découverte et de réflexion pour tous. Observation et réflexion sur les systèmes graphiques et leur évolution, réflexion sur le rapport écrit / oral, prise de conscience de la variation historique et « dialectale » et diatopique, interrogation sur les rapports de pouvoir à l’œuvre entre ces variétés et sur enjeux de normes… Nullement de manière savante, pas tout au primaire et sans que les enseignants eux-mêmes aient besoin d’« apprendre » l’arabe, mais selon des approches du type « éveil aux langues » comme cela se fait désormais dans tant de classes de par l’Europe. Et ceci, certes, à propos aussi bien du chinois ou du turc ou du grec ou de l’occitan, mais sans perdre de vue que des représentations sociales dépréciatives largement répandues (et sur lesquelles surfent allègrement − comme on vient encore de le voir − des groupes et des politiques sans grand scrupule) s’attachent particulièrement à l’arabe. D’où porter une attention tout aussi particulière à cette langue et lui faire une place dans une éducation langagière générale, responsabilité parmi d’autres de l’école à l’égard de celles et ceux qu’elle accueille.

Daniel Coste